Semaine 47


Chaque semaine, nous vous proposons en version intégrale un article THE BIG WHALE, premier media crypto indépendant en France.


La tokenisation avance à grande vitesse. Après les stablecoins, elle gagne désormais actions, obligations et même indices boursiers. Le S&P 500, porté par des records historiques, devient l’un des nouveaux terrains d’expérimentation on-chain.

Mais un enjeu émerge : toutes les versions tokenisées du S&P 500 se valent-elles ? Plusieurs acteurs proposent déjà leur propre déclinaison (bCSPX (Backed), SPYX (xStocks), SPXA (Centrifuge), SPYON (Ondo) ) avec des architectures, des garanties et des niveaux de conformité très différents.


Pourquoi tokeniser un indice comme le S&P 500 ?

Le S&P 500 est l’indice le plus suivi au monde, couvrant 80 % du marché américain et servant de référence aux investisseurs. Le tokeniser répond à une logique simple : offrir une version accessible en continu, transparente et plus ouverte que les ETF traditionnels.

On-chain, l’indice peut être acheté ou vendu 24h/24 sans dépendre des horaires de Wall Street, et chaque opération est inscrite dans un smart contract, ce qui renforce la traçabilité et la visibilité sur le produit.

Mais cette innovation comporte des zones grises : un cadre réglementaire encore flou, une dépendance à des oracles fiables pour refléter fidèlement l’indice réel, et un risque technologique inhérent aux smart contracts (bugs, failles, attaques).


Backed – bCSPX

Le bCSPX fait partie de ces produits tokenisés qui montrent jusqu’où la finance traditionnelle peut déjà s’installer on-chain. Concrètement, Backed Assets — une société suisse, via une filiale enregistrée à Jersey — tokenise la performance de l’ETF iShares Core S&P 500 UCITS (CSPX) de BlackRock. Dit autrement : détenir du bCSPX revient à s’exposer au S&P 500, mais sous forme de token.

La mécanique est simple, mais la structure est très contrôlée. Les parts de l’ETF sont conservées par ISP Securities AG, un dépositaire zurichois supervisé par la FINMA. Ce point est essentiel : contrairement aux tokens “synthétiques” qui reposent uniquement sur un oracle de prix, le bCSPX est adossé à un actif réel. Le jeton reflète donc un actif tangible, avec les mêmes droits économiques qu’une part d’ETF.

L’accès, en revanche, est loin d’être ouvert à tous. Pour acheter ou racheter du bCSPX directement auprès de Backed, il faut passer par un KYC/AML complet et être reconnu comme investisseur qualifié — institution financière, grande entreprise, ou particulier à haut patrimoine. Le produit est enregistré à Jersey, mais aussi en Suisse et au Liechtenstein, ce qui implique un double contrôle réglementaire. Résultat : seuls les investisseurs qualifiés européens et suisses peuvent interagir avec l’émetteur.

Cela n’empêche pas le token de circuler un peu dans la DeFi, mais de façon limitée. Une pool bCSPX/sDAI est disponible sur Balancer (Gnosis Chain), avec environ 130 000 dollars de TVL et près de 500 000 dollars de volume mensuel. Les échanges y sont permis sans KYC, mais la liquidité reste très faible : un ordre de plus de 30 000 dollars crée déjà un dérapage significatif. Le token n’est pas non plus listé sur des CEX, ce qui limite encore sa diffusion.

Dans ces conditions, la composabilité du bCSPX reste réduite. Le jeton n’est accepté comme collatéral par aucun des grands protocoles et n’offre que peu d’usages on-chain, hormis la fourniture de liquidité sur Balancer — un protocole qui a lui-même subi un hack de 129 millions de dollars début novembre. Les rendements y sont faibles et exposés au risque classique de perte impermanente.

En réalité, bCSPX s’apparente surtout à une démonstration grandeur nature : un produit qui prouve que la tokenisation réglementée d’actifs financiers complexes est possible, mais qui n’est pas encore pensé pour un usage décentralisé à grande échelle. C’est un avant-goût de ce que pourrait devenir la tokenisation… quand les infrastructures et la réglementation seront prêtes.


xStocks – SPYX

Avec le SPYX, xStocks propose une version beaucoup plus accessible du S&P 500 tokenisé. Le produit reproduit la performance de l’ETF SPDR S&P 500 (SPY), l’un des véhicules d’investissement les plus connus au monde. Techniquement, il s’appuie sur l’infrastructure d’émission de Backed — la même que pour le bCSPX — mais avec un positionnement très différent.

Là où le bCSPX vise clairement les investisseurs institutionnels, le SPYX assume une ambition plus large : permettre à n’importe quel particulier d’acheter une exposition au S&P 500 sous forme de token. xStocks se charge de la distribution, avec un discours résolument orienté grand public : “Investing Designed for Everyone.”

Chaque token est adossé à des parts réelles de l’ETF SPY, conservées auprès de dépositaires agréés comme Alpaca, Incore ou Maerki Baumann. Le lien avec l’actif sous-jacent reste donc solide — on n’est pas dans du synthétique.

L’accès fonctionne sur un modèle semi-ouvert : mint et redeem nécessitent un KYC/AML, mais une fois les tokens émis, ils circulent librement sur les blockchains compatibles. Et ici, l’équipe mise clairement sur le multichain. Le SPYX existe déjà sur Solana et Ethereum, et doit bientôt arriver sur Arbitrum et BNB Chain.

La distribution suit la même logique : être visible partout où les utilisateurs se trouvent. Le SPYX est présent sur plusieurs DEX — Raydium, Orca, Meteora, PancakeSwap (version Solana) — ce qui facilite l’accès retail. Il est aussi listé sur Kraken et Bybit, même si l’accès reste encore restreint : pas disponible pour les clients américains, canadiens, britanniques ou australiens.

Côté réglementaire, Backed utilise ici uniquement sa structure du Liechtenstein, sans supervision suisse directe. Résultat : un produit plus léger, plus agile… mais certainement moins rassurant pour les investisseurs institutionnels qui ont besoin d’un cadre strict.

Sur la liquidité, le SPYX prend clairement l’avantage sur le bCSPX. Son volume quotidien tourne autour de 405 000 dollars, soit presque autant que l’activité mensuelle du bCSPX. La profondeur est correcte jusqu’à 20 000 à 40 000 dollars d’ordres, même si les dérapages deviennent visibles au-delà.

Mais la vraie nouveauté se joue sur la composabilité. Le SPYX commence à trouver sa place dans la DeFi : sur Kamino Finance, il peut désormais être déposé en collatéral pour emprunter de l’USDC ou d’autres actifs. Le “marché xStocks” de Kamino affiche déjà 1,23 million de dollars de dépôts — un début modeste, mais symbolique. Pour la première fois, une exposition au S&P 500 devient utilisable dans un protocole de lending on-chain.

Le SPYX est la version grand public du S&P 500 tokenisé. Quand le bCSPX reste une vitrine réglementaire destinée aux pros, le SPYX explore ce que pourrait être une intégration réelle entre TradFi et DeFi : un produit simple, multichaîne, échangeable et déjà partiellement composable. Une porte d’entrée vers un futur où les indices boursiers eux-mêmes circulent librement on-chain.


Centrifuge – SPXA

Avec le SPXA, Centrifuge franchit un cap que l’industrie évoquait depuis des années sans jamais l’atteindre : faire vivre un indice boursier majeur directement on-chain. Fondée en 2017 et pionnière des RWA, la société allemande signe l’un des développements les plus ambitieux du secteur avec ce produit lancé fin septembre 2025 : le premier fonds indiciel S&P 500 natif blockchain, créé en collaboration officielle avec S&P Dow Jones Indices — une première mondiale.

Contrairement aux approches de Backed ou xStocks, le SPXA ne tokenise pas un ETF existant. Il recrée l’indice lui-même, depuis la source. Pour y parvenir, Centrifuge a développé un système inédit, le Proof of Index, qui relie les fichiers de données certifiés de S&P DJI à des smart contracts déployés sur Base, la blockchain soutenue par Coinbase. Résultat : le SPXA reproduit la performance du S&P 500 en temps quasi réel, avec des données vérifiées et auditées, sans dépendre d’oracles externes.

Le modèle est totalement différent : ici, l’indice devient un actif programmable. Le SPXA emprunte à la fois à la gestion d’actifs traditionnelle (via un cadre réglementaire strict, un gestionnaire professionnel et une gouvernance classique) et à la finance décentralisée (automatisation, transparence, exécution on-chain). Le produit est administré par Anemoy Capital, la société de gestion de Centrifuge, avec Janus Henderson comme sous-gestionnaire — un partenariat qui valide l’entrée de la DeFi institutionnelle dans le monde des indices.

L’accès, pour l’instant, reste extrêmement restreint. Le SPXA est 100 % permissioned : réservé aux investisseurs qualifiés non américains, avec un ticket minimum de 500 000 dollars et un KYC/AML complet. L’émission s’appuie sur un véhicule luxembourgeois, Anemoy Capital S.A., aligné sur les standards européens de gestion d’actifs. L’ambition est claire : offrir aux institutions un produit qui coche toutes les cases réglementaires tout en exploitant les bénéfices de la blockchain.

À ce stade, aucune liquidité secondaire n’existe. Le SPXA est encore dans sa phase de lancement, et les données de RWA.xyz montrent qu’une seule adresse détient environ 5 millions de dollars de tokens — probablement l’investisseur institutionnel initial. Aucun marché DeFi, aucun listing CEX ou DEX, aucune intégration comme collatéral. Centrifuge prévoit toutefois d’activer des bridges via Wormhole, ce qui pourrait, à terme, ouvrir la voie à un usage multichaîne.

Le SPXA se positionne donc dans une catégorie à part. Là où bCSPX et SPYX cherchent avant tout à apporter le S&P 500 aux utilisateurs crypto, le SPXA cible explicitement les institutions et propose un produit directement adossé à l’indice, sous licence officielle, avec une technologie propriétaire qui pourrait devenir un standard. Si la tokenisation des indices s’impose dans les portefeuilles réglementés, c’est probablement ce type d’architecture — et peut-être ce produit — qui servira de modèle


Ondo – SPYON

Avec le SPYON, Ondo Finance étend sa stratégie au-delà de la tokenisation d’obligations souveraines pour s’attaquer aux indices actions. Connue pour ses produits adossés aux bons du Trésor américain — comme USDY et OUSG, aujourd’hui parmi les plus importants du marché — la société propose désormais une exposition on-chain à l’indice S&P 500, via un produit directement adossé à l’ETF SPDR S&P 500 (SPY), géré par State Street Global Advisors.

Selon les données de RWA.xyz, le SPYON est actuellement la plus importante tokenisation basée sur le SPY, avec environ 25 millions de dollars d’actifs tokenisés mi-novembre 2025. Le produit est émis via Ondo Global Markets (OGM), une plateforme pensée pour offrir aux investisseurs non américains une exposition on-chain à des titres cotés, qu’il s’agisse d’actions, d’ETF ou d’indices.

Les jetons OGM, comme le SPYON, sont adossés à des actifs réels détenus en réserve, garantissant la même exposition économique que la détention directe de l’actif sous-jacent, dividendes inclus et réinvestis nets d’impôts. En revanche, ces tokens n’accordent ni droit de vote ni propriété légale sur les titres. Ils fonctionnent comme des “total return trackers”, c’est-à-dire des produits qui reproduisent intégralement la performance économique de l’actif sans en transférer la propriété juridique.

Le produit reste, pour l’instant, réservé aux investisseurs institutionnels. L’accès nécessite un processus complet d’onboarding via Persona et HelloSign, conforme aux exigences KYC/AML. Une ouverture progressive aux particuliers est envisagée, mais pas encore active. Sur le marché secondaire, le SPYON est disponible sur quelques CEX partenaires, notamment Gate et Bitget, ce qui facilite son accès à un public non américain, mais de façon encadrée.

Côté liquidité, Ondo bénéficie de son écosystème existant : ses produits phares cumulent plusieurs centaines de millions de dollars de TVL, offrant une infrastructure solide pour le développement de nouveaux marchés. Le SPYON, encore jeune, affiche une liquidité limitée mais croissante, Ondo travaillant à structurer une profondeur de marché institutionnelle via des partenaires agréés et des DEX sous whitelist. L’objectif est explicite : répliquer la liquidité des marchés traditionnels et réduire les écarts de prix entre l’actif réel et sa version tokenisée, grâce à des mécanismes de mint/burn instantanés et sans frais.

La composabilité DeFi du SPYON est volontairement restreinte. Ondo privilégie une approche de DeFi réglementée, intégrée à des protocoles compatibles avec les exigences institutionnelles. On retrouve ainsi le SPYON dans Flux Finance, un protocole de prêt supervisé par Ondo, spécifiquement conçu pour héberger des actifs tokenisés conformes.

À ce stade, la circulation libre du SPYON reste quasi nulle. Quelques fragments apparaissent sur Uniswap, mais la liquidité y est insignifiante (environ 10 000 dollars), rendant toute transaction importante impossible sans un fort impact sur le prix. Pour les particuliers, l’accès au SPYON demeure donc quasiment fermé, du moins jusqu’à l’ouverture de canaux plus grand public.

Pour faire simple, le SPYON incarne la version institutionnelle et réglementée du S&P 500 tokenisé. Là où xStocks mise sur l’accessibilité et Backed sur la conformité, Ondo cherche à créer un pont stable entre marchés financiers et DeFi, dans une logique de finance on-chain professionnelle.