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Les baisses de taux fragilisent le modèle ultra-rentable de Tether et Circle, largement dépendant des bons du Trésor américains. Les deux géants du stablecoin doivent désormais trouver de nouveaux relais de croissance pour préserver leurs marges.
Jusqu’ici, les géants des stablecoins ont affiché une rentabilité hors norme, au point de figurer parmi les entreprises les plus profitables au monde rapporté au nombre de salariés. Mais le changement de cap de la politique monétaire américaine pourrait bien provoquer un séisme : Circle et Tether, longtemps assis sur un trône de profits confortables, voient leur modèle remis en question.
La baisse de taux et la réaction du marché obligataire
Mi-septembre, la Réserve fédérale américaine a abaissé son taux directeur de 25 points de base. Une décision attendue, qui faisait suite à des chiffres de l’emploi particulièrement mauvais dans le rapport NFP de septembre, aggravés encore par les révisions des mois précédents. Comme souvent, les marchés avaient déjà anticipé ce mouvement. Résultat : peu d’effet visible sur les actifs risqués. Les actions n’ont guère bougé, les cryptos non plus. Bitcoin, Ether et Solana ont même reculé dans la foulée de l’annonce, signe que la baisse était déjà intégrée dans les prix.
Un autre signal marquant de l’après-Fed se lit du côté de la courbe des taux. Pour rappel, celle-ci traduit l’écart entre le rendement des bons du Trésor à 10 ans et ceux à 2 ans. Quand elle s’accentue à la hausse, cela reflète une valorisation plus élevée des rendements longs, une situation considérée comme normale. À l’inverse, une inversion de la courbe est perçue comme un signe négatif, annonciateur d’un risque de récession.
Or, depuis la baisse de taux, la courbe s’est nettement redressée. Les taux américains à 2 ans sont désormais plus bas que ceux des obligations longues (10, 20 ou 30 ans), ce qui a entraîné un redressement de la courbe des taux. Le 2 ans sert de référence : il reflète la direction que les marchés attribuent à la politique monétaire de la Fed. Actuellement à 3,58 %, il laisse entrevoir de nouvelles baisses de taux, peut-être autour de 75 points de base, confirmant qu’un cycle d’assouplissement a commencé, même s’il reste limité.
La partie courte de la courbe a réagi immédiatement à la décision de la Fed, mais l’écart entre le 10 ans et le 3 mois reste très faible, signe que les marchés doutent encore de l’ampleur de ce mouvement. Le taux américain à 3 mois, très sensible aux décisions de la Fed, tourne autour de 4 %. Le 10 ans est un peu plus élevé, car il intègre le risque lié au temps, comme l’inflation ou une instabilité économique.
Aujourd’hui, le taux à 3 mois dépasse celui du 2 ans, ce qui donne une courbe des taux en “bosse”. Deux explications à cela. D’abord, en début de cycle de baisse des taux, le 3 mois reflète la situation immédiate, tandis que le 2 ans traduit la cible finale de la Fed, là où elle veut amener sa politique. Ensuite, les inquiétudes à court terme (inflation alimentée par les tarifs douaniers, menace de récession avec de mauvais chiffres de l’emploi, et fragilités de l’économie mondiale) poussent les investisseurs à exiger plus de rendement sur les échéances très courtes.
En clair, le marché considère que la Fed vient d’entamer un cycle de baisse de taux, mais qu’il devrait rester limité.
Le modèle économique de Tether et Circle face aux taux
L’essentiel des revenus de Tether et de Circle provient des bons du Trésor américain à court terme, dont l’échéance est inférieure à un an. Ces titres, émis sans coupon, sont achetés avec une décote et remboursés à leur valeur faciale à maturité. Hautement liquides, ils dépendent directement de la politique de la Fed : en période de baisse des taux, leurs rendements chutent rapidement, ce qui affecte mécaniquement la rentabilité des émetteurs de stablecoins.
Les bilans des deux sociétés traduisent cette dépendance :
Chez Circle, la part des bons du Trésor représente 95,65 % de l’actif total, ce qui en fait une exposition quasi exclusive à la dette publique américaine.
Tether affiche une allocation légèrement plus diversifiée, avec 78 % de son actif placé en T-Bills. Une différence qui reflète deux stratégies : l’une, centrée sur un actif unique, l’autre plus ouverte à d’autres classes d’investissement. L'entreprise ne publie pas de compte de résultat détaillé. Les estimations disponibles reposent donc sur des approximations à partir de la composition de ses réserves. Selon les données communiquées par la société, 78 % des dépôts sont investis dans des bons du Trésor américains d’une maturité inférieure à 90 jours.
Au deuxième trimestre 2025, l’émetteur a revendiqué 4,9 milliards de dollars de bénéfice net, dont 2,8 milliards issus de la réévaluation de ses positions en bitcoin et en or, et 2,1 milliards générés par ses placements rémunérés. Sur l’ensemble du premier semestre, Tether affiche ainsi un résultat cumulé de 5,7 milliards de dollars.
Ces chiffres posent toutefois question. Avec un rendement moyen de 4,3 % sur ses réserves, 99 % de ces revenus se transforment en profit, ce qui laisse entendre que l’entreprise ne supporte quasiment aucun coût de fonctionnement ni de distribution. Une opacité qui alimente le scepticisme autour de ses résultats.
Surtout, les premiers signes d’érosion apparaissent déjà. Depuis la mi-août, le rendement des T-Bills à un mois a reculé de 7 %. En septembre, cela se traduit par une baisse de 5,8 % du revenu mensuel tiré de ces titres par rapport à août.
Certes, la demande toujours croissante pour l’USDT compense partiellement ce recul en gonflant le volume de dépôts. Mais si la répartition de 78 % en T-Bills est maintenue, Tether pourrait voir son revenu de réserves reculer d’environ 3,3 % sur un mois.
Au-delà de la baisse des rendements obligataires, Tether et Circle doivent composer avec une autre contrainte : l’explosion de leurs coûts de distribution. Ces dépenses, qui représentent désormais 62 % de leurs revenus totaux, correspondent aux incitations financières versées aux market makers, plateformes d’échange et autres partenaires pour assurer la liquidité et l’omniprésence de leurs stablecoins sur le marché.
Pour Circle, la facture est particulièrement lourde. Le deuxième trimestre s’est soldé par une perte nette de 408 millions de dollars, en grande partie liée aux rémunérations généreuses versées aux employés depuis son introduction en Bourse. Si le titre a brièvement rebondi après l’annonce, il a ensuite chuté de 70 % entre juillet et septembre, reflétant la méfiance des investisseurs face à un modèle de rentabilité vacillant.
L’effet des prochaines baisses de taux sur Tether et Circle
Évaluer la rentabilité future des deux géants du stablecoin revient d’abord à analyser leur exposition aux bons du Trésor américains. Trois variables sont déterminantes : l’évolution attendue du rendement des T-Bills à un mois, le rythme de croissance des dépôts investis dans ces titres, et l’augmentation des coûts de distribution.
L’exercice repose sur deux scénarios : l’un avec un rendement moyen annuel inchangé de 4,11 %, l’autre avec un taux ramené à 3,5 %, soit l’objectif final de la Fed pour ce cycle. À cela s’ajoutent les dynamiques propres aux deux stablecoins : sur les quatre derniers trimestres, l’offre d’USDT a progressé de 9,73 % tandis que celle d’USDC a bondi de 20,19 %.
Du côté des marges, l’écart est saisissant. Circle affiche une marge brute de 38 %, tandis que Tether revendique un taux de profit de 99 %, chiffre difficilement crédible dans ce modèle. Pour cette raison, l’impact des baisses de taux sera évalué sur la base des données de Circle, seule société cotée en Bourse et contrainte à la transparence. Les projections portent sur le quatrième trimestre 2025. Si la croissance moyenne observée reprend, les montants investis en bons du Trésor atteindraient 147,95 milliards de dollars pour Tether et 85,1 milliards pour Circle à la fin de l’année.
Si le rendement des T-Bills tombait à 3,5 % tout en conservant la dynamique de croissance actuelle des dépôts (+9,73 % pour l’USDT et +20,19 % pour l’USDC), l’impact serait lourd. La baisse de revenu de réserves atteindrait 225,6 millions de dollars pour Tether et 129,8 millions pour Circle. Rapporté au trimestre, cela représenterait une chute de 14,8 % des revenus issus des bons du Trésor. Une contraction brutale qui viendrait éroder l’un des piliers du modèle économique des deux émetteurs de stablecoins.
En appliquant la marge brute de 38 % affichée par Circle, l’impact des baisses de taux se traduit mécaniquement par la même contraction : une diminution de 14,8 % du profit brut par rapport à un scénario où les rendements resteraient inchangés.
En d’autres termes, la pression sur les revenus de réserves se répercute sans amortisseur sur la rentabilité opérationnelle, confirmant la vulnérabilité du modèle face à un environnement monétaire moins favorable.
Pour préserver leur rentabilité, Tether et Circle doivent désormais compenser la baisse des rendements obligataires par une croissance accélérée de leurs dépôts investis dans les bons du Trésor. Concrètement, l’augmentation du capital placé devra dépasser à la fois la hausse des coûts de distribution et la diminution des revenus de réserve. Sans cela, leurs profits s’éroderont trimestre après trimestre.
Deux options se dessinent. La première, purement quantitative, consiste à continuer de croître plus vite que la dégradation des marges. La seconde passe par une diversification des revenus.
Tether a déjà engagé ce virage en multipliant les placements alternatifs et les prêts collatéralisés, tandis que Circle mise sur le lancement de sa propre blockchain, Arc, afin de réduire sa dépendance aux rendements dictés par la Fed.
L’analyse de The Big Whale
La baisse des taux représente une menace sérieuse pour la rentabilité des émetteurs de stablecoins. Tous deux sont massivement exposés aux bons du Trésor américain, avec une dépendance extrême chez Circle, dont près de 96 % des actifs reposent sur ces titres.
Cela explique pourquoi l’entreprise sera la plus touchée : sa rentabilité est intégralement corrélée aux rendements obligataires et à la politique monétaire de la Fed. Le marché en a déjà tenu compte : son action a perdu 70 % entre juillet et septembre. Pour diversifier ses revenus, Circle mise désormais sur le lancement de sa propre blockchain, Arc, destinée à devenir l’infrastructure de référence pour les paiements en USDC.
Tether a choisi une voie différente. L’entreprise a commencé à élargir son bilan en réinvestissant ses excédents dans des prêts collatéralisés et d’autres classes d’actifs : bitcoin, participation dans des sociétés de minage, agriculture, ou encore métaux précieux. L’émission de son stablecoin adossé à l’or l’a obligée à constituer d’importantes réserves en métal, ce qui a contribué à gonfler ses résultats.
La société revendique 2,8 milliards de dollars de bénéfices issus de la revalorisation de ses avoirs en bitcoin et en or. Mais il ne s’agit que de plus-values latentes : ces profits ne seraient réalisés qu’en cas de vente.
La croissance continue des dépôts investis en T-Bills assure un flux de revenus conséquent, mais le modèle reste très sensible aux cycles monétaires. Pour préserver leurs marges, Circle devra à la fois réduire ses coûts de distribution et diversifier ses sources de revenus avec des activités génératrices de cash, plutôt que de simples gains comptables. Tether, de son côté, mise sur sa capacité à transformer ses profits de court terme en un empire diversifié, mais reste exposé à la volatilité de ses actifs.
Avec les rumeurs d’une valorisation de 500 milliards de dollars pour Tether, une question demeure : l’entreprise saura-t-elle éviter le sort de Circle, et ces deux mastodontes parviendront ils à rendre leurs profits moins “cycliques” ?
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